![La ZIP du Havre comporte 23 sites Seveso, dont 16 classés seuil haut. Au total, 300 entreprises cohabitent sur la zone industrialo-portuaire.]()
La ZIP du Havre comporte 23 sites Seveso, dont 17 classés seuil haut. Au total, 300 entreprises cohabitent sur la zone industrialo-portuaire. (©Marie-Charlotte Nouvellon/76actu)
L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen (Seine-Maritime), le 26 septembre 2019, a ouvert une brèche de réflexion au Havre et proches alentours. Et pour cause : avec 23 sites Seveso (sur les 75 de la Seine-Maritime) dans la zone industrialo-portuaire (Zip), dont 17 de niveau seuil haut, la cité Océane appartient à la catégorie des plus grosses villes industrielles du pays. Et la question de la réponse collective à la catastrophe industrielle inévitable – désormais anticipée par le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) – n’a jamais cessé de se poser.
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32 000 salariés au quotidien sur la Zip
Parmi les activités retrouvées, de la pétrochimie (Total, Shmpp), de la chimie (Lubrizol, Chevron Oronite, Yara, Alkion, Total Fluides, Omnova), mais aussi du stockage à risque (CIM, Sepp, Care) ou encore de la métallurgie (Eramet). La liste n’est pas exhaustive, sans compter sa proximité avec la zone de Port-Jérôme. Quid du cocktail de risques ? Ils sont les mêmes qu’ailleurs : toxiques, thermiques et de surpression.
Alors que le plan particulier d’intervention (PPI) n’a jamais été déclenché par la préfecture, l’enjeu de protection des populations n’est pas moins fort que par le passé. Au quotidien, 32 000 salariés font ainsi la bascule entre les territoires urbains et l’espace industrialo-portuaire, long de 27 kilomètres et large de cinq. Touristes, riverains, routiers ne sont pas inclus dans ce comptage.
Au sein du territoire de la Zip cohabitent donc des sites classés, parfois séparés les uns des autres par des entreprises non jugées à risque, mais dont le personnel est exposé au quotidien, a fortiori en cas d’accident majeur.
Plus largement, un bassin de population, doté d’environ 300 000 âmes, gravite autour de la Zip du Havre. La réponse aux risques encourus est donc venue d’un document d’anticipation, le PPRT, qui a vu le jour, sur décision préfectorale et après concertation avec tous les acteurs de la zone, le 17 octobre 2016. À cette heure, sa mise en oeuvre n’est pas terminée.
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Les entreprises de la Zip, premières ciblées par les risques
Rendu possible par la loi Risques de 2003 (elle-même initiée par la catastrophe d’AZF de Toulouse), ce document administratif – souvent confondu avec le PPI qui est lui un plan de déclenchement des secours après accident majeur – réglemente le bâti dans quatre zonages sensibles définis au sein de la Zip.
Le rouge, placé au plus proche des sites Seveso seuil haut, induit des mesures foncières : expropriations, droit de délaissement. Une quarantaine d’entreprises sont aujourd’hui concernées. Elles ont jusqu’à l’automne 2022 pour annoncer leur décision : soit elles quittent la Zip (moyennant replacement), soit elles assurent de gros travaux de protection des accueils de personnels.
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CARTE. Le PPRT de la zone industrialo-portuaire du Havre :
Pour la zone bleue, nettement plus étendue, mais moins exposée, des plans d’action en vue de protéger les salariés seront obligatoirement à fournir d’ici 2021. Au total 250 établissements, de toutes tailles, sont concernés. La zone verte possède des recommandations semblables, mais leur caractère est moins impératif.
Synerzip, décisive pour la protection des riverains
Pour ce faire, un acteur majeur est en charge de la mise en œuvre du document auprès des entreprises locales : l’association Synerzip-LH, définie par la préfecture comme structure de gouvernance. La formule est propre au Havre. Les 17 sites Seveso seuil haut ont tous participé à la fondation de cette association qui concerne toutes les entreprises. À cette heure, elles sont 120 sur les 300 de la Zip à adhérer au projet.
Outre des recueils de consignes, l’association se charge de former, d’accompagner tous les types et formats d’entreprises vers le PPRT et ses impositions. Elle guide des exercices, fait aussi se concerter les acteurs impactés.
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Après trois années de travail, Jean-Michel Villeval, le directeur général de Synerzip observe :
Toutes les entreprises de la ZIP ne sont pas entrées dans le dispositif de protection de la même façon, avec la même vitesse.
Certaines ont même fait le choix de répondre aux exigences sans solliciter l’aide de l’association. Ces dernières prennent-elles un risque à œuvrer de leur côté ? « Il faudra demander au juge en cas d’accident…, soupire le responsable. Vous êtes dans le cadre d’un PPRT qui nécessite un certain nombre d’actions. Vous pouvez y venir, ne pas y venir, c’est votre choix car l’adhésion n’est pas obligatoire. » Mais il faudra « fournir des preuves si jamais elles doivent rendre des comptes ».
« L’accident va se produire, mais on ne sait pas quand »
De même, ce temps de latence dans l’application du PPRT pose-t-il un problème vis-à-vis de la sécurité ? « On peut voir le verre à moitié vide et se dire que cela n’est pas raisonnable. À l’inverse, si tout avait été réalisé plus vite, aurait-on eu la même exigence dans l’accompagnement ? Je ne sais pas. » « Le temps qu’on y consacre maintenant est un bénéfice pour la suite », estime Jean-Michel Villeval.
![Jean-Michel Villeval dirige l'association de gouvernance Synerzip depuis ses débuts.]()
Jean-Michel Villeval fait face à la Zip du Havre. Cet ancien sapeur-pompier dirige l’association de gouvernance Synerzip depuis ses débuts, en 2015. (©PL/76actu)
Il rappelle : « La Zip du Havre est consciente des risques auxquels elle peut être confrontée en cas d’accident. Il faut qu’on s’y prépare ensemble. On peut considérer qu’en cas d’accident, la Zip du Havre aura des réponses à apporter. Je n’irais pas vous dire la même chose en cas de catastrophe : c’est malheureusement l’accident qui écrira l’histoire. À nous de nous y préparer. »
Olivier Clavaux, président de Synerzip et également directeur général de l’usine Chevron-Oronite, abonde : « Le risque zéro n’existe pas. L’accident va se produire, il n’y a pas de doute. On ne sait juste pas quand ça va se produire. Nous essayons donc de repousser la date le plus loin possible et de limiter au maximum les conséquences. »
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Pour le dirigeant, la préparation à la crise continue de passer par l’inclusion des populations à la problématique. « Nous devons expliquer les risques aux gens. Mais il faut aussi que les gens voient la valeur ajoutée de nos activités, notre participation à la valeur sociétale. Car si les gens ne voient que des inconvénients, ils n’accepteront pas de cohabiter avec nous. »
« Le Havre, un exemple à suivre »
Du côté de l’Association nationale des communes pour la prévention des risques technologiques majeurs (Amaris) et de sa déléguée générale, on ne réfléchit pas par le doute : « Les acteurs de la gestion de crise se préparent à ne pas être prêts à la catastrophe industrielle, analyse Delphine Favre. Je me demande si la catastrophe, ce n’est pas quand on considère qu’on est prêt. »
Au sein « d’un territoire qui n’est pas du tout en retard », elle préfère louer « des acteurs qui se donnent les moyens d’agir ». Et Delphine Favre de poursuivre : « À Gonfreville l’Orcher, il y a les AlertBox. Ce sont des initiatives qu’on ne retrouve pas partout [en France, NDLR] ». Sur son site internet, Amaris vante au sujet de la Zip « un exemple à suivre pour l’ensemble des PPRT ».
« La question de la mise en protection des salariés dans les entreprises est peu traitée sur le plan national. Là-dessus, Le Havre possède une longueur d’avance, complète la déléguée générale. Il doit cela à son passé. Il existe tout un historique sur la zone, notamment grâce au travail de la CCI. Les acteurs avancent vite, ils peuvent s’appuyer sur des relations qui sont tissées depuis 30 ans. »
Pour les habitations, l’État n’a « pas de dispositif de contrôle »
S’il semble difficile d’estimer le pourcentage de mise en œuvre du PPRT, les chantiers à venir passent désormais par « la consolidation des plans de mise à l’abri sur les sites », juge Synerzip. « Afin que tous puissent disposer d’un plan interne pour se mettre en sécurité le jour où nous affronterons un accident, ensemble. » En ce sens, de nombreux exercices internes, au sein des entreprises, sont mentionnés par Alerte Estuaire. « Les renforcements de la protection du bâti sont aussi à finaliser. Il faudra enfin conclure la mise en œuvre de l’outil Zip Alerte. »
Sur l’alerte, outre le dispositif Cignale (réseau de sirènes) ou le numéro vert « Allô Incendie », chaque site Seveso a désormais l’obligation de mettre à l’abri ses riverains via un plan dédié (PMA-AE). Synerzip a initié une interface simplifiée nommée Zip Alerte. Elle fonctionne entre entreprises, de façon à ce que chacune puisse se prévenir en cas de début d’accident non-maîtrisé, à l’aide d’un carnet d’adresses de voisins adapté.
Un PPRT achevé d’ici la fin d’année 2020 ?
Par ailleurs, 300 logements évoluent dans la zone du PPRT. Ils se situent tous dans un secteur d’habitations populaires, placé sur la commune de Gonfreville-l’Orcher, en zonage bleu. Des travaux leur ont donc été prescrits par l’État. « Les habitants ont l’obligation de les réaliser », prévient Delphine Favre et Amaris. Problème : « Aujourd’hui, l’État n’a pas prévu de dispositif de contrôle, ni de système de sanctions. S’ils ne font pas ces travaux, la sanction c’est l’accident. »
Jean-Michel Villeval « espère que notre PPPRT sera achevé 100 % d’ici la fin d’année 2020 » :
On est un peu plus forts qu’hier, moins que demain. On avance. La technologie n’est pas la finalité. La finalité, c’est l’humain. Ici, la sécurité est l’affaire de tous.
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